Comment renommer les émotions négatives?

Proposition de vocabulaire pour mieux vivre les émotions.

Laurence Lagadec-Gaulin

8/7/2024

Dernièrement, j’ai eu une conversation inspirante avec deux fort belles personnes au sujet des répercussions des jugements qu’on fait de nos émotions.

Surtout, on était tous les trois d’accord pour dire qu’il faut arrêter d’utiliser l’expression « émotion négative ». Cette expression sous-entend qu’il y a des émotions à éviter.

C’est vrai, les jeunes générations sont de plus en plus sensibilisées à l’idée que ces émotions sont nécessaires, et qu’elles nous envoient des messages importants. Mais notre vocabulaire ne propose pas encore de terme approprié pour désigner cette partie tout à fait normale de notre expérience humaine.

Même en psychologie, on utilise toujours des questionnaires, des tests de personnalité et des modèles théoriques qui se basent sur la distinction entre les émotions dites positives et celles dites négatives.

Donc, on s’interrogeait à savoir comment on les appelle, ces émotions-qu’on-n’a-pas-envie-de-vivre-mais-qui-doivent-être-vécues-parce-que-mon-psy-me-l’a-dit.

« Émotions difficiles »? Non, tout aussi péjoratif. « Émotions complexes »? Bien sûr que non, elles ne sont pas nécessairement complexes. La colère peut être bien simple. « Émotions exigeantes »? Peut-être, mais ça ne répond pas au besoin de normaliser ces émotions.

Les émotions de changement et les émotions de maintien

C’est pourquoi je vous propose de voir les émotions qu’on dit traditionnellement
« négatives » comme les émotions de changement.

Après tout, chaque émotion vise à attirer notre attention sur les comportements qu’on doit adopter pour aller bien ou aller mieux.

Si on creuse un peu, on remarque que les émotions « négatives » suggèrent des changements de comportements ou des adaptations. Par exemple :

  • Tristesse : il s’est produit une transition ou un événement auquel je n’étais pas préparé.e, je dois prendre le temps de m’adapter à la nouvelle situation

  • Colère : une de mes limites a été transgressée, je dois changer mes comportements de façon à ce que cela ne se reproduise pas

  • Honte : j’ai l’impression que quelque chose cloche avec moi par rapport à une norme, alors je dois soit modifier mes comportements pour qu’ils soient en accord avec cette norme, soit réviser mon degré d’acceptation de cette norme

Et les émotions traditionnellement « positives » deviendraient les émotions de maintien. Elles nous indiquent de maintenir ou de reproduire certaines actions.

  • Joie : je vis une situation favorable pour moi et qui me donne de l'énergie, alors ce serait une bonne idée de répéter les comportements qui m’ont mené.e à cette situation

  • Gratitude : ma relation avec le monde extérieur ou avec une personne m’apporte quelque chose d’utile ou de plaisant, alors je devrais continuer de cultiver cette relation ou de compter sur elle

  • Sérénité : je suis sur la bonne voie, mes choix peuvent être maintenus

L’avantage de cette nouvelle nomenclature, c’est qu’elle déplace notre attention vers la fonction et l’utilité de nos émotions. Une personne qui est dans une démarche de développement personnel se doit d’apprivoiser ses émotions et d’apprendre à les utiliser à son avantage. C’est pourquoi elle a intérêt à se donner les moyens pour se rappeler l’importance de tous ses types d’émotions. Et de les nommer d’une façon qui ne comporte pas de jugement sur leur caractère bon ou mauvais.

Quelques petites nuances s’imposent toutefois.

D’abord, les comportements que je présente avec mes exemples d’émotions sont des suggestions de ce qui peut être fait pour agir en concordance avec ces émotions spécifiques. D’autres choix d’actions (ou d’inaction) pourraient être tout à fait appropriés. La réflexion que je souhaite mettre de l’avant avec ces exemples, c’est que certaines émotions seront vécues d’une façon plus constructive si elles sont suivies d’actions de changement, et d’autres, par des actions de maintien.

Par ailleurs, pour adopter ces nouvelles appellations, il faut accepter l’idée que la vie nous fait osciller entre un état de maintien à un état de changement. Le bien-être requiert parfois de conserver des comportements, et parfois de les transformer. Rester dans un seul de ces états n’est pas soutenable ni réaliste à long terme.

Et dans cet ordre d’idées, je ne veux surtout pas banaliser les conséquences des émotions qu’on dit traditionnellement négatives. Vivre très souvent de la colère, de la honte ou de la peur, notamment, ça peut affecter le fonctionnement et la santé. Et ça peut être le signe qu’on a besoin d’aide professionnelle.

Je vous invite à faire l’expérience de ces nouvelles conceptualisations. Quels changements ou quels maintiens vos émotions vous amènent-elles à créer?

Et ne vous gênez pas pour m'écrire si des réflexions émergent de ces essais.